création: Vieux habits

Vieux habits et haute gastronomie
Aussitôt qu’elle entre dans la maison, elle lance ses souliers salis et un peu vieillots dans un coin de l’entrée. Ses traits fatigués révèlent qu’elle a eu une dure et longue journée. Quand je lui demande si elle a passé une belle journée, elle me répond : «M’ouin, ç’aurait pu ête mieux là là».  J’acquiesce  sans dire un mot de plus. Il est un peu plus de dix-huit heures, et mon père n’est toujours pas rentré du travail. Il a dû être très occupé aujourd’hui avec l’accident qu’il y a eu tôt ce matin à quelques rues d’ici seulement.
Nathalie passe devant ma chambre :
-Est c’qui faut que j’fasse el’souper là là ou ben on attend ton père ?
-Le souper sera prêt lorsqu’il arrivera puisque Roger, le cuisinier de la maison, se charge du repas du soir quand mon père arrive trop tard.
Elle me regarde incrédule et se retourne pour aller plus loin. Elle n’a jamais vu ça un cuisinier ? C’est vrai que c’est maintenant très rare une famille avec un cuisinier…
            -Eum, en passant Nathalie, comprends-tu quelque chose toi aux fonctions et aux paraboles ? Je ne suis pas certaine de saisir toute l’information pour faire mon devoir de mathématiques.
            -Ouuuf, tu d’mandes pas à bonne personne, hahaha, j’ai pas faite ça moi mes maths de secondaire quatre.
Et elle s’en va pour vrai. Sans m’aider, sans me donner de conseil. Rien. Pourquoi rit-elle ? Ce n’est pas drôle, j’ai besoin d’aide, je ne veux pas avoir une mauvaise note. Je demanderai à mon père; il est toujours mieux qu’elle.
Plus tard dans la soirée, après m’être bourrée de tartare de canard et de salade au saumon fumé, je pose ma question de mathématiques à mon père puisque Nathalie n’y a pas répondu.
            -Je suis désolé Amélie, mais j’ai promis d’emmener ma douce Nathalie au Casino puisqu’elle n’y est jamais allée. Je t’aiderai demain d’accord ?
            -Euu, non, c’est pour demain mon devoir.
            -Oh ! Eh bien, appelle une de tes amies avec ton cellulaire que je t’ai acheté la semaine dernière, ou reste éveillée jusqu’à ce que je revienne, ce qui risque d’être très tard.
Quoi ? Il préfère passer du temps au Casino avec «sa douce» Nathalie plutôt que de m’aider avec mes incompréhensibles devoirs ? Depuis quelques semaines, il est bizarre et il ne passe plus de temps avec nous. Je décide donc d’attendre qu’ils reviennent pour qu’il puisse m’aider. Je monte à ma chambre pour aller y chercher mon I-pod.
En revenant dans les escaliers descendant au salon, je passe devant la chambre de mon père, et bien sûr de «sa douce» Nathalie. J’ai envie d’entrer juste pour voir ce que Nathalie cache dans sa chambre. J’entre et je me mets à sonder ses biens qui ne font que traîner sur le plancher et sur le lit. Depuis quand papa laisse tout traîner comme ça ? Ce n’est pas son habitude, lui qui est si propre et en ordre habituellement.
Je cherche tant bien que mal des choses anormales, je ne trouve que de vieux vêtements entassés dans un coin de la chambre, et dans le coin opposé, un tas de vêtements neufs. Pourquoi Nathalie a-t-elle de si beaux vêtements, mais  ne fait que porter ces vieux habits ? Une photo posée sur le bureau de chêne attire mon attention; une jeune Nathalie d’environ douze ans, en compagnie d’un homme, d’une femme, et d’un petit garçon.
J’entends un bruit de porte. Oh non, ils reviennent déjà ! Je sors de la chambre en faisait bien attention de ne pas faire de bruits inutiles en refermant la porte et me dirige vers ma chambre. J’attends que mon père vienne me voir pour m’aider avec mon devoir, mais c’est si long que je m’endors dans mon lit.

Nous sommes samedi et Nathalie semble encore éblouie par le copieux repas que nous entamons en ce moment avec nos voisins. Nous sommes tous habillés en conséquence, chic et propres, et elle, comme d’habitude, porte un de ses vieux chandails passés de mode et des pantalons un peu bizarres pour le souper que nous avons. Je n’arrête pas de la regarder tout au long de la soirée. Elle semble ne pas savoir comment manger des huîtres, mais dévore tout avec appétit, comme si elle se dépêchait avant que quelqu’un mange ce qui compose son assiette avant elle. Elle pose ses yeux partout; sur les chandeliers qui orne la table, sur les assiettes antiques, sur les invités qui semblent être à un coquetel important tellement ils sont bien habillés et même sur mon père qui parle de chose et d’autre avec une très bonne. C’est comme ça tous les samedis soirs. On dirait qu’elle ne s’habitue pas à notre vie. Pourtant, tout est bien normal.

Nous sommes rendus le soir de la veille de Noël. Tout est blanc dehors. Le sapin illuminé dans le coin du salon est gigantesque et la maison rayonne de partout. Encore une fois, Nathalie est émerveillée par tout ça et, bien que moi aussi je le suis puisque Noël, c’est magique, je la trouve un peu énervante de toujours s’arrêter partout où il y a une décoration pour s’exclamer : «Wow, c’est ben trop beau ces p’tites choses là.» Cela fait presque un mois qu’elles sont installées les décorations et pendant un mois, elle n’a pas arrêté. Mon père arrive par derrière pendant qu’elle admire un bonhomme de neige en vitre posé sur une étagère du salon et lui tend un paquet cadeau.
            -Claude ! T’étais pas obligé tsé.
            -Attends de voir qu’est-ce qui se cache dans la boîte !
Elle déchire le papier sans faire attention à rien, ouvre la petite boîte et trouve un superbe collier de perles étagé. Elle semble surprise et un peu fâché contre mon père qu’il lui ait acheté un cadeau aussi dispendieux que celui-là. Tout au long de la soirée, il la surprend avec de nouveaux cadeaux, tout aussi beaux les uns des autres et chaque fois, elle est contente, mais timide de recevoir d’aussi beaux cadeaux.

Plus tard dans l’année, une journée au mois de janvier, elle n’est pas d’accord avec le fait qu’il y ait des gens qui viennent déneiger notre entrée.
            -On est là nous autres pour faire c’te job là, pourquoi faut gaspiller d’l’argent pour er’garder les autres le faire à notre place ?
Des fois, je trouve qu’elle en met un tout petit peu.
En allant me coucher ce soir-là, j’ai envie de parler à mon père.
            -Papa, j’ai une question à te poser. C’est en lien avec Nathalie.      
            -Oui, qu’est-ce qu’il y a ? Te dérange-t-elle?
Je lui explique alors que je la trouve un peu bizarre. Elle porte de vieux vêtements, de vieux souliers et semble émerveillée par tout ce qui se trouve dans notre maison. Elle ne s’exprime pas comme nous avec un accent qui vient de je ne sais trop où. Je parle à mon père des vêtements que j’ai vus dans leur chambre l’autre soir; pourquoi porte-t-elle toujours ses vieux habits alors qu’elle a une pile de belles tenues entassées dans un coin de la chambre ? Et la photo d’elle sur le bureau ? Qui est l’homme, la femme, le petit garçon ?
            -Nathalie n’est pas pareille à nous. Elle est…comment dire…elle a l’air pauvre.
Mon père n’aime pas qu’on dise ça de quelqu’un, mais j’ai décidé de le dire quand même parce que c’est réellement ce que je pense. Alors voilà mon père qui se lance dans une explication sans fin.
Je comprends maintenant.

Nous sommes jeudi soir au mois de mars. Ça fait maintenant presque un an et demi que Nathalie et mon père sont ensemble. Je suis l’organisatrice en chef du bal de finissants de mon école secondaire.
            -Bon, en fin de semaine, je dois trouver les nappes, les centres de tables, la décoration pour la salle, le DJ, le chef cuisinier sera Roger, et…que me manque-t-il ? Ah oui, je dois trouver ma robe au plus vite !!!
            -Calme-toi Amélie. Ça va vous coûter ben trop cher ! Pourquoi vous faites pas vos décorations vous-même ? Pis pourquoi le DJ serait pas un de vos amis qui aime tourner les tables ? Et ta robe a pas besoin d’être super cher non plus.
Je la regarde, pensive. Et puis je me dis que c’est vrai ce qu’elle dit.

 Réflexion critique
L’histoire que j’ai choisie d’écrire est l’histoire d’une fille de seize ans, en quatrième secondaire, qui ne s’entend pas à merveille avec la nouvelle blonde de son père. Elle la trouve quelque peu bizarre par ce qu’elle porte et aussi dans sa façon de parler et d’agir. Ce que j’ai voulu faire pour mon volet création du projet, c’était d’aborder le sujet de la différence. Dans mes trois œuvres analysées au cours du volet analyse du projet, c’est un aspect important pour les personnages des diverses histoires. Dans une classe de plusieurs ethnies distinctes, la discrimination se voit dans les paroles et les gestes des élèves. Ce qu’ils croient n’est pas pareil d’un jeune à l’autre. C’est ce qui amène le non respect.

Je voulais créer un peu une atmosphère de malaise au début envers Nathalie puis, on comprend de plus en plus la position de la femme plus la fin approche. J’ai fait parler la femme avec un accent très québécois, surtout au début, pour montrer qu’elle ne venait pas du même milieu que la famille dans laquelle elle était. Je voulais faire ce genre de texte parce que je voulais vraiment qu’on s’attache aux personnages, autant à la femme plus pauvre, qu’à la famille aisée financièrement. En étant différente de la famille dans laquelle elle arrive, Nathalie a du mal à se faire accepter par Amélie. Je voulais qu’on soit compatissants envers Nathalie et qu’on essaie de se mettre dans sa peau en ressentant le malaise l’entourant. Toutefois, je voulais aussi qu’on soit capable de se mettre dans la peau d’Amélie qui ne comprend pas les réactions de Nathalie face à leur famille. Elle ne se  rend compte seulement qu’à la fin que sa nouvelle «belle-mère» ne soit pas comme eux, mais que la différence n’est pas si mauvaise que cela.


De nos jours, au Québec, la différence se vit de plusieurs façons. Que ce soit entre les ethnies d’ailleurs, entre les pauvres et les plus riches, entre les homosexuels et les hétérosexuels, bref, pleins de conflits sont engendrés par la différence. Avec les œuvres étudiées dans mon volet analyse, on voit que les conflits sont très présents et même parfois très graves quand il s’agit d’ethnies qui ne s’entendent pas bien. C’est un peu le lien qu’il y a entre mon texte sur les questionnements que peut apporter la venue d’une nouvelle «belle-mère» dans la maison. Amélie ne s’entend pas si bien que ça avec Nathalie puisque cette dernière ne vient pas du même milieu qu’elle et qu’elle agit bizarrement (selon Amélie). La ressemblance principale entre mon histoire et Écrire pour exister serait qu’à la fin, on comprend que tout est réglé tandis que dans Entre les murs et Bashir Lazhar, l’histoire ne se termine pas bien, elle ne se règle pas et les personnages sont destabilisés.